La récente décision du Tribunal d’arbitrage dans l’affaire Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CIUSSS de la Capitale-Nationale-CSN c. Centre hospitalier universitaire de Québec (CHU de Québec) (2024 QCTA 392) offre plusieurs leçons importantes pour les employeurs québécois en matière de gestion des périodes d’essai.
Voici une vulgarisation des faits et des conclusions essentielles, accompagnée de recommandations concrètes pour les gestionnaires.
Résumé des faits
Une préposée aux bénéficiaires avait entrepris une période d’essai dans un nouvel établissement hospitalier. À la suite de commentaires négatifs de ses collègues, l’employeur a mis fin à sa période d’essai et elle est retournée dans son ancien poste au CIUSSS. La salariée a contesté cette décision, alléguant que l’employeur avait agi de manière injuste et fautive, causant du stress et de l’anxiété.
Le syndicat a donc déposé un grief, réclamant des dommages moraux et punitifs, en plus d’indemnités pour des pertes salariales.
Principaux constats du Tribunal
Abus de droit par l’employeur : Le Tribunal a conclu que l’employeur avait commis un abus de droit en mettant fin à la période d’essai de la salariée. Pourquoi?
Manque d’équité : L’employeur n’a pas donné à l’employée l’occasion réelle d’expliquer sa version des faits face aux commentaires négatifs de ses collègues.
Gestion unilatérale : Plutôt que de prendre en compte les circonstances et d’assurer un suivi équitable, l’employeur a agi dans son propre intérêt.
Toutefois, il est important de noter que cet abus ne relevait ni d’une intention malveillante ni d’une faute grave.
Évaluation du préjudice moral : La salariée a décrit des effets dévastateurs : humiliation, stress, anxiété et atteinte à sa dignité. Cependant, le Tribunal a constaté que :
Une partie importante de ce préjudice découlait de situations personnelles ou de problèmes vécus dans son ancien milieu de travail après son retour.
Le lien de causalité entre la conduite de l’employeur et ces impacts était plutôt ténu.
Malgré tout, le Tribunal a reconnu que la manière dont s’était déroulée la période d’essai avait exacerbé le stress et l’anxiété ressentis par la salariée.
Octroi de dommages
Dommages moraux : Une somme de 3 000 $ a été accordée à la salariée, soit le tiers de la somme réclamée.
Dommages punitifs : Rejetés. Le Tribunal n’a pas identifié d’atteinte illicite et intentionnelle aux droits fondamentaux de la salariée.
Quant aux pertes salariales réclamées pour une période ultérieure, celles-ci ont été refusées, car elles étaient liées à des situations indépendantes de la faute de l’employeur.
Leçons pour les employeurs
Cette décision met en lumière plusieurs bonnes pratiques pour éviter des situations similaires :
Adoptez un processus d’évaluation équitable
Avant de mettre fin à une période d’essai, assurez-vous d’avoir recueilli tous les faits de manière objective.
Donnez à l’employé l’occasion de s’expliquer ou de répondre aux commentaires négatifs formulés à son égard.
Gérez les rétroactions avec rigueur et transparence
La communication doit être claire, respectueuse et documentée. Toute critique doit être formulée de manière constructive et offrir à l’employé des pistes d’amélioration.
Évitez les décisions hâtives ou arbitraires
Assurez-vous de prendre vos décisions en fonction de critères objectifs et mesurables. Une gestion unilatérale ou précipitée peut être perçue comme une forme d’abus de droit.
Sensibilité aux impacts moraux
Même lorsque l’employeur a raison d’agir, il doit demeurer attentif aux conséquences humaines de ses décisions. Des gestes perçus comme injustes ou humiliants peuvent entraîner des répercussions sur le moral des employés.
Documentez vos actions
Gardez des traces écrites de vos rencontres, décisions et des motifs les justifiant. Cette documentation pourra servir de preuve en cas de litige.
Conclusion
Cette décision rappelle que la gestion des périodes d’essai doit être réalisée avec prudence, équité et transparence. Une conduite jugée fautive, même sans malveillance, peut entraîner des conséquences financières pour l’employeur. En adoptant des pratiques rigoureuses et respectueuses, les gestionnaires peuvent minimiser les risques tout en favorisant un climat de travail sain et productif.
Si vous êtes confrontés à une situation semblable, il est toujours recommandé de consulter des spécialistes, comme des conseillers en relations du travail, pour assurer le respect de vos obligations légales et conventionnelles.