Pause repas : quand la convention collective a priorité sur les besoins opérationnels
- Laurie Croteau
- il y a 3 jours
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Dans la décision Syndicat des travailleuses et travailleurs des industries manufacturières – CSN et Béton provincial (Mauricie), 2024 QCTA 558, l’arbitre Me Richard Marcheterre rappelle un principe fondamental en droit du travail : l’employeur ne peut s’écarter du texte clair d’une convention collective en invoquant son droit de gestion, même en contexte opérationnel difficile.
Le contexte
Le grief portait sur l’application de l’article 11.4 de la convention collective, qui prévoit ce qui suit :
« La période de repas non rémunérée est de trente (30) minutes et est prise entre 11 h 30 et 13 h 30, au moment indiqué par le répartiteur. »
Un salarié contestait le fait qu’on ne lui ait pas accordé de pause repas le 13 octobre 2023. Il soutenait que, conformément à la convention collective, il aurait dû être autorisé à interrompre son travail pour prendre une pause de 30 minutes dans la plage horaire prévue.
De son côté, l’employeur invoquait les contraintes de production et faisait valoir qu’en pratique, les salariés prennent leur repas dans leur véhicule, sans interruption de travail, mais en étant rémunérés pour cette période.
Ce que dit la Loi… et ce que change la convention
L’article 79 de la Loi sur les normes du travail (LNT) impose à l’employeur de permettre une pause repas de 30 minutes après cinq heures de travail consécutives. Il précise également que si le salarié ne peut quitter son poste, cette période doit être rémunérée.
Cependant, l’arbitre souligne que les parties ont volontairement écarté l’application du deuxième alinéa de l’article 79 LNT en négociant une disposition spécifique dans la convention. Cette clause ne prévoit pas la possibilité pour l’employeur de retenir un salarié à son poste pendant la pause, même en le rémunérant. Ainsi, la pause doit être prise en arrêt de travail entre 11 h 30 et 13 h 30.
La position de l’arbitre
L’arbitre conclut que l’article 11.4 est clair, non ambigu et qu’il ne permet aucune exception fondée sur les besoins de l’entreprise. L’employeur ne peut donc pas décider unilatéralement de ne pas accorder la pause.
Toutefois, malgré cette conclusion, le grief a été rejeté sur la base de la théorie de l’estoppel. En effet, la preuve a démontré que depuis plusieurs années, la pratique de ne pas interrompre le travail pour la pause était connue, tolérée et appliquée sans objection par le syndicat. L’employeur pouvait donc raisonnablement croire que cette façon de faire était acceptée.
Ainsi, même si l’interprétation du texte conventionnel donnait raison au salarié, le grief a été déclaré inadmissible à l’arbitrage.
Enseignements pour les employeurs
Respect du texte de la convention collective
Une clause claire s’applique telle quelle, même si elle est plus exigeante que les normes minimales prévues par la LNT. L’employeur ne peut invoquer son droit de gérance pour la modifier ou la contourner.
La pratique ne remplace pas la convention
Une pratique tolérée pendant des années peut toutefois avoir des effets juridiques. Dans cette affaire, la tolérance syndicale à l’égard d’une pratique non conforme a permis à l’employeur d’opposer avec succès une défense fondée sur l’estoppel.
L’importance d’agir en amont
Si une clause conventionnelle devient difficile à appliquer, il faut en discuter et, au besoin, en renégocier les termes lors des prochaines négociations. Continuer une pratique non conforme sans obtenir d’entente explicite demeure risqué.
Clarification du rôle du répartiteur
L’article 11.4 prévoit que c’est le répartiteur qui détermine l’heure exacte de la pause, et non le salarié. Cette responsabilité doit être exercée activement, sinon on risque de créer des zones grises dans l’application.
Conclusion
Cette décision décision confirme l’importance de suivre fidèlement les conventions collectives et de ne pas s’appuyer uniquement sur des pratiques, même bien ancrées, pour justifier des écarts.
Elle met également en lumière les limites du droit de gérance face à des clauses claires, et l’effet juridique que peut avoir la tolérance prolongée d’une situation contraire au texte négocié.
Pour toute situation semblable, il est recommandé de consulter un conseiller en relations de travail afin d’évaluer les risques juridiques et de mieux encadrer vos pratiques.