
Un récent jugement arbitrable Syndicat des travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux (CSN) et Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais (Maria-Atalina Dagobert), 2024 illustre à quel point les circonstances particulières d’un incident peuvent amener un arbitre à substituer une suspension à un congédiement.
Dans cette affaire, une auxiliaire en santé et services sociaux (ASSS) travaillant de nuit dans une unité spécialisée a quitté son poste de surveillance pendant plus d’une heure. L’employeur l’a congédiée pour négligence grave, mais l’arbitre a jugé que le contexte de travail – notamment la présence d’une nouvelle usagère reconnue pour son agressivité et son imprévisibilité – devait être pris en compte.
Contexte de l’affaire
Le milieu de travail : L’auxiliaire en santé et services sociaux œuvrait la nuit dans une unité hébergeant des adolescents (12-17 ans) présentant des troubles graves du comportement (TGC).
La nouvelle usagère : Peu de temps avant l’incident, une jeune présentant un fort potentiel de violence a été intégrée à l’unité. Elle était déjà connue pour avoir blessé plusieurs intervenants dans un établissement précédent.
Les craintes de la salariée : L’auxiliaire avait demandé à sa gestionnaire de ne pas travailler seule durant la nuit, craignant la dangerosité de la nouvelle usagère. L’employeur n’a toutefois pas ajouté de personnel supplémentaire.
Les faits reprochés
Absence du poste de surveillance : Dans la nuit du 14 au 15 janvier, la salariée s’est retirée dans un garde-manger pendant plus d’une heure (entre 2 h 10 et environ 3 h 30).
Justification de la salariée : Elle affirme avoir agi ainsi par peur et pour éviter de provoquer l’usagère, très agitée la nuit.
Décision de l’employeur : L’employeur a d’abord imposé un congédiement, estimant que l’abandon de poste constituait un acte de négligence grave rompant le lien de confiance.
La décision arbitrale
Faute réelle, mais contexte essentiel
L’arbitre reconnaît que le retrait de la salariée pendant une heure constitue une faute sérieuse : elle n’assurait pas la surveillance continue exigée auprès d’une clientèle particulièrement vulnérable. Toutefois, aucun incident dommageable ne s’est produit durant son absence.
Importance des circonstances particulières
L’arbitre a mis l’accent sur l’environnement de travail : la salariée était seule la nuit dans une unité regroupant plusieurs jeunes au comportement potentiellement agressif.
La nouvelle usagère présentait un risque réel, comme en témoignent ses antécédents et des incidents répétés de violence envers le personnel.
L’employeur avait été informé des craintes de la salariée et aurait pu prendre des mesures de soutien supplémentaires (p. ex. : un plan d’intervention clarifié, l’ajout d’un agent ou d’un collègue sur le quart de nuit).
Sanction trop sévère
Selon l’arbitre, le congédiement était disproportionné, vu l’ancienneté de la salariée (en poste depuis 2005), son dossier disciplinaire vierge et la nature anxiogène de son milieu de travail.
La sanction a été réduite à une suspension de 6 mois sans salaire, suivie d’une réintégration. L’arbitre a souligné que cette suspension demeure « sévère », tout en reflétant mieux l’équilibre entre la gravité de la faute et le contexte aggravant.
Enjeux à retenir
Évaluation du risque pour la sécurité
Les employeurs ont l’obligation légale d’assurer la sécurité de leurs travailleurs (art. 51, LSST). Une simple consigne de « gérer la situation » peut être jugée insuffisante face à un risque réel et documenté.
Mesures d’accompagnement et de prévention
La faute disciplinaire ne doit pas faire oublier l’environnement dans lequel elle est commise (Morin & Forest, Le droit du travail au Québec, 2021). Il revient à l’employeur de démontrer qu’il a mis en place un soutien adéquat pour faciliter la tâche, surtout en présence d’un usager reconnu dangereux.
Principes de gradation des sanctions
Même en cas de faute grave, le contexte peut atténuer la sévérité de la sanction. Les arbitres vérifieront si l’employeur a bien évalué l’ensemble des circonstances (Sablonnière, La discipline au travail, 2022).
Conclusion
Cette décision illustre l’importance pour les employeurs de considérer toutes les circonstances d’un incident avant de recourir à une mesure extrême comme le congédiement. Dans un contexte où la santé et la sécurité des employés sont en jeu, il convient de mettre en place des mécanismes de soutien et d’évaluer la proportionnalité de la sanction à la fois selon la gravité de la faute et la réalité du milieu de travail.