
Le 8 février 2024, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision marquante dans l’affaire Gestion Juste pour rire inc. c. Gloutnay, 2024 QCCA 156. Ce jugement soulève d’importantes questions sur la validité des contrats d’emploi à vie et sur les obligations des employeurs en matière de résiliation d’emploi.
Les faits de l’affaire
L’intimé a été engagé en 1993 comme archiviste et documentaliste pour le Musée Juste pour rire, puis a poursuivi son emploi au sein des différentes entreprises du Groupe Juste pour rire. En 2004, Gilbert Rozon lui aurait promis un emploi « permanent à vie » en échange de la cession de sa collection personnelle d’archives sur l’humour mondial.
Après la vente du Groupe Juste pour rire en 2018, l’intimé a été mis à pied, puis licencié définitivement en 2019. Il a alors intenté un recours contre son ancien employeur, soutenant que l’engagement d’un emploi à vie devait être respecté.
En 2022, la Cour supérieure lui a donné raison, ordonnant sa réintégration et le remboursement de son salaire perdu. Cependant, la Cour d’appel a révisé cette décision et a plutôt accordé à l’intimé une indemnité de 666 500 $, tout en annulant la réintégration dans son poste.
Les principaux enseignements pour les employeurs
Cette décision apporte des clarifications essentielles sur la portée des engagements pris par un employeur et sur les limites du droit du travail au Québec.
1. Les contrats d’emploi à vie sont possibles, mais encadrés
La Cour d’appel a reconnu qu’un employeur peut s’engager à garantir un emploi à vie à un salarié, tant que cela ne contrevient pas à l’ordre public. Toutefois, cela ne signifie pas que l’employé ne peut jamais être congédié. L’engagement de l’employeur est interprété en fonction de l’intention des parties et des contreparties échangées.
2. L’abolition d’un poste ne justifie pas toujours un licenciement
L’un des arguments de l’employeur était que le poste de l’intimé avait été aboli, rendant sa réintégration impossible. La Cour d’appel a rejeté cette justification, rappelant que lorsqu’un employeur s’engage à garantir un emploi, il ne peut pas simplement mettre fin à l’emploi sous prétexte d’une réorganisation interne.
3. La réintégration d’un salarié n’est pas un remède automatique
Bien que la Cour supérieure ait ordonné la réintégration, la Cour d’appel a jugé que cela n’était pas approprié dans ce cas, notamment en raison de la nature spécifique des compétences de l’intimé et du fait que son poste avait disparu. En général, la réintégration demeure une mesure exceptionnelle dans le cadre d’un recours civil.
4. L’importance de la rédaction des contrats
Cette affaire souligne l’importance pour les employeurs de rédiger avec précision leurs contrats d’embauche et d’éviter les engagements vagues ou excessifs. Un contrat mal défini peut exposer l’entreprise à des obligations financières importantes en cas de litige.
5. La résiliation d’un emploi doit être bien justifiée
Même lorsqu’un employeur estime avoir un motif légitime pour mettre fin à l’emploi d’un salarié, il doit s’assurer que cette décision respecte les droits de l’employé et qu’un préavis ou une indemnité suffisante est prévue. Dans cette affaire, la résiliation a été jugée abusive en raison de l’engagement initial de l’employeur.
Conclusion
Cette décision rappelle aux employeurs qu’ils doivent être prudents lorsqu’ils prennent des engagements à long terme avec leurs employés. Un contrat de travail bien rédigé, conforme aux lois en vigueur et évitant les promesses trop larges, est essentiel pour éviter des litiges coûteux.
Les employeurs qui envisagent des contrats de longue durée devraient consulter un conseiller juridique afin de s’assurer que leurs engagements sont bien encadrés et respectent les meilleures pratiques du droit du travail québécois.